Alexandre le Grand

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Epopée chorégraphique en 5 tableaux, dont un prologue et un épilogue

Première : le 21 juin 1937 à l’Opéra de Paris

Musique : Philippe Gaubert

Argument (ou livret) : Serge lifar

Décors et costumes : Paul Larthe

Direction musicale : Philippe Gaubert

Principaux interprètes : Simone Binois (l’Oracle), Yvette Chauviré (la Juive), Lycette Darsonval, Paulette Dynalix et Geneviève Kergrist (deux Esclaves), Serge Lifar (Alexandre le Grand), Suzanne Lorcia (la Reine de Babylone), Solange Schwarz (l’Egyptienne)

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« Alexandre était généreux, parfois cruel et voluptueux. Et il était mort subitement d’une fièvre étrange qui ressemblait à un empoisonnement. Mourant, il avait été porté en litière à travers les pays lointains vers sa patrie pour rendre son âme là où il était né. De tous les héros de l’histoire, c’était celui dont la vie avait été la plus remplie d’exploits extraordinaires. Lifar tomba amoureux de lui. Et pour comprendre son âme, il n’avait qu’un moyen ; l’incarner.

Il ne prit de la vie d’Alexandre que quelques moments saisissants ; il montra le conquérant, l’amoureux et sa mort.

Le ballet, sur la musique de Philippe Gaubert, décors et costumes de Larthe, débutait par un premier exploit. Le nœud gordien était figuré par un groupe d’hommes entrelacés et se mouvant péniblement, presque sur place, comme liés par une corde. Des jeunes filles emprisonnées par le nœud tournaient en carrousel.

Alexandre surgissait sur le fond élevé de la scène, descendait en courant et faisait un geste rapide avec son glaive pour couper le nœud. La course et le mouvement du glaive étaient exécutés d’un seul élan. La danse d’ensemble des jeunes filles et des prisonniers libérés encerclait Alexandre d’un joyeux tournoiement.

Le Mur des Lamentations constituait le fond du décor du deuxième acte qui se déroulait devant les portes de Jérusalem où les Juifs en habits noirs attendaient Alexandre. Tournant le dos au public, ils faisaient devant le Mur des Lamentations des petits pas sans presque bouger le corps, puis commençaient une danse composée de figures géométriques et d’un tournoiement accéléré presque sur place. Tantôt la saltation envahissait toute la scène, tantôt les danseurs s’arrêtaient dans des attitudes figées. Une jeune esclave (Yvette Chauviré) se livrait à une danse sinueuse et lascive : elle approchait d’Alexandre et essayait de le séduire. Mais il la repoussait d’un geste brusque et rapide.

Plongé dans sa rêverie, il regardait les danseurs d’un œil indifférent sans presque les voir. Puis, soudain, il s’abandonnait à la joie du triomphe, dans une danse contrastant violemment avec celle des habitants de la ville conquise. Il commençait par une course autour de la scène, course aux pas glissés sans presque toucher le sol de la plante du pied. ; puis, reprenant l’envol, il exécutait une danse guerrière avec le bouclier et le glaive, devant la rampe.

Le troisième exploit d’Alexandre était la conquête de l’Égypte, que Napoléon devait répéter bien des siècles plus tard. Basée sur des figures égyptiennes, la danse de Lifar avec Solange Schwarz comportait une marche, des attitudes, des arabesques entrelacées.

Le tableau final évoquait une fois encore la victoire, la conquête de l’Inde, les plaisirs, l’extase de l’amour, pour s’achever sur la tragédie dernière : la mort.

Dans la salle à colonnes de son palais, Alexandre fêtait ses conquêtes, entouré de ses capitaines et de jolies filles. La reine de Babylone (Suzanne Lorcia) lui exprimait son amour. Soulevés par un groupe d’esclaves, comme des statues montées sur un piédestal, Lifar et Lorcia se rapprochaient en se tendant les mains, ou s’éloignaient l’un de l’autre selon les mouvements des porteurs. Cette danse en l’air, sur un socle vivant, leur permettait de composer des attitudes sculpturales expressives. Puis ils descendaient, et leur pas de deux dessinait des sauts hardis, tours, entrechats, au rythme tantôt vif, passionné, tantôt languissant, ralenti. Alexandre regagnait sa couche, se penchait vers son amante qui lui versait avec un sourire enchanteur la boisson présentée par un mystérieux envoyé, qui venait d’entrer et s’éloignait aussitôt précipitamment. Ravi, Alexandre buvait, et soudain son visage se contractait de douleur, d’angoisse, de terreur. Il se tordait de souffrance, s’étirait. L’amour, le désespoir, l’élan vers la vie, le tourment de l’agonie se lisaient dans ses mouvements et sur son visage. Essayant de reprendre l’attitude d’un conquérant, il montait sur le piédestal des esclaves, tendait des mains tremblantes vers la Babylonienne terrifiée, et cette lutte suprême contre la mort s’achevait dans un tournoiement du corps roulant en bas, la tête inclinée, les bras ouverts. La dépouille mortelle d’Alexandre était recouverte d’un drap argenté, et la Babylonienne suivait en pleurs les esclaves qui emportaient le héros en le soulevant très haut. Le cortège mortuaire, s’éloignant d’un pas lugubre et pesant, terminait la fête. Le palais disparaissait à vue et la scène restait vide. Sur le plateau élevé au fond, Alexandre, jeune et beau, apparaissait, son grand manteau recouvrant les planches : le drap mortuaire s’était transformé en cape royale. Lifar passait d’un pas éthéré, d’un « touché » léger qui semblait effleurer le sol, et traversait le plateau au fond de la scène, dans une apothéose d’une beauté inoubliable.

C’était une des plus admirables visions chorégraphiques.

[…] Des années ont passé depuis lors, mais l’apothéose d’Alexandre reste devant nos yeux comme un tableau de maître. Lifar à montré dans Alexandre le Grand ses dons de tragédien et la puissance extraordinaire de sa nouvelle technique néo-classique patiemment forgée au cours de longues années : le mouvement saltatoire incarnait véritablement les variations de l’âme et de la pensée à travers l’instrument du corps libéré de son poids. »

Serge Lifar rénovateur du ballet français par Jean Laurent et Julie Sazonova, Buchet/Chastel Corrêa, Paris, 1960 (pp. 111-113)