David triomphant

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Ballet en 2 actes et 3 tableaux

Première : le 15 décembre 1936 au Théâtre de la Cité Universitaire de Paris

Musique : Claude Debussy et Modeste Moussorgski

Rythmes de Serge Lifar orchestrés par Vittorio Rieti

Argument (ou livret) : Serge Lifar d’après Le livre des Rois

Décors et costumes : Fernand Léger

Direction musicale : Joseph-Eugène Szyfer

Principaux interprètes : Yvette Chauviré (Melchore), Lycette Darsonval (la Sorcière), Serge Lifar (David), Serge Renn (le roi Saül)

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« David triomphant » entre à l'Opéra

David triomphant ballet en 2 actes et 3 tableaux, représenté pour la première fois au Théâtre de la Cité Universitaire le 15 décembre 1936, procède directement de mon Manifeste du Chorégraphe, dont Icare fut la première illustration.

Icare et le Manifeste sont nés presque simultanément, et il est malaisé de dire lequel des deux a engendré l’autre – le Manifeste était l’expression théorique de ma pensée, Icare en fut la réalisation vivante.

La création d’Icare a posé de graves problèmes. Le public était tellement persuadé qu’il assistait à la naissance du ballet sans musique, qu’un grand journal a organisé une enquête pour décider si le ballet pouvait exister privé de tout accompagnement musical.

C’était faire dévier la voie que j’avais tracée. J’ai dit dans mon Manifeste que le ballet pouvait, mais non pas qu’il devait exister sans musique. J’ai parlé d’une collaboration étroite du chorégraphe et du musicien. Cette collaboration, par la suite de circonstance extérieures, je n’ai pu la réaliser dans Icare lequel reste un cas particulier mais non une généralité.

David triomphant se déroulera dans de violents décors de M. Fernand Léger, le maître de la construction picturale.

Sa manière était précisément celle qui convenait à la résurrection d’un chapitre du Livre des Rois : le style dans lequel il a conçu ses étonnants personnages taillés en carte à jouer est d’une intéressante nouveauté.

La partition musicale de M. Rieti, le grand maître italien, risquait de passer, aux yeux de certains, pour un pas en arrière par rapport à Icare. Il n’en est rien. Icare fut une première esquisse de mes idées. David en est le développement logique. Je crois être parvenu, dans ce ballet, à l’union harmonieuse et libératrice des deux arts : la Danse et la Musique. Je ne puis évidemment pas affirmer que David est une traduction parfaite de mes théories car il y a eu, peut-être, quelques petites concessions de part et d’autre. Je m’en réjouis d’ailleurs, car c’est la recherche de la perfection qui permet le progrès.

Parlons maintenant de la chorégraphie même de David. Elle s’apparente à celle d’Icare par sa technique académique. J’ai toujours respecté les cinq positions académiques initiales de la danse classique, mais cherché en même temps à éviter la routine hélas ! si fréquente de nos jours. Le ballet académique romantique reflète la beauté dansante et plastique, prise en soi-même, mais faute de se renouveler, il est tombé dans la monotonie. Le ballet académique d’aujourd’hui recherche un récitatif dansant, comparable au récitatif musical – plus de variations de bravoure, mais une suite logique de pas et d’élans dont chacun exprime un état, une idée ou un sentiment. Donc, avec ces privilèges, nous revenons aux vraies traditions classiques qui ont présidé à la naissance de la danse académique, ce qu’il serait bon de ne pas oublier. N’importe quel phénomène de la vie renferme à la fois des possibilités de traduction picturales, poétiques, musicales et dansantes. Au chorégraphe de puiser les éléments nécessaires à la danse que sa puissance créatrice ordonnera dans leur harmonie définitive.

J’ai essayé d’exprimer cette idée dans le premier tableau de David, où le héros décrit, par sa danse, son combat avec Goliath. Je n’ai fait qu’emprunter au combat de David contre Goliath toutes les possibilités chorégraphiques qu’il offrait. David est un drame chorégraphique : Amour, poésie, grandeur et faiblesse…

Est-il possible de comparer David à un autre de mes ballets ?

Seul le Cantique des Cantiques à quoi je travaille en ce moment, sera d’une conception analogue.

Je me réjouis de voir David porté sur la scène de l’Opéra que l’on pourrait croire spécialement conçu pour la danse. La nouvelle disposition de la scène et de la rampe et la suppression des trous de souffleurs font que les pieds des danseurs ne sont plus « coupés ». A l’occasion de sa présentation à l’Opéra, David a été entièrement remanié. M. Rieti, sur mes rythmes, a instrumenté une nouvelle partition pour grand orchestre, partition qui ne comportera plus aucun emprunt à la musique classique. Pour ma part, j’ai créé deux nouveaux numéros. L’un sera une improvisation chorégraphique chaque fois renouvelée qui se déroulera sans musique : David jouant de la harpe, l’autre une marche des guerriers passés en revue par David.

Ce soir, 7 mars 1937, p. 8

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« Présenté pour la première fois en décembre 1936, au gala de la Cité universitaire, David triomphant fut donné à l’Opéra le 26 mai 1937 dans une version agrandie et enrichie. Ce ballet en deux actes sur une partition de Vittorio Rieti d’après des rythmes de Serge Lifar, décors de Fernand Léger, commençait au moment où Daphnis et Chloé s’était arrêté : dans l’éblouissement juvénile d’une vie de berger. Le jeune David, frère spirituel de Daphnis, mais évoluant dans un monde différent, biblique et héroïque, se présentait à nous avec son instrument bucolique, la lyre, et son innocente candeur. Mais les événements allaient l’entraîner loin de son chemin de berger.

Timide et tendre, les mouvements souples et légers, David apparaissait en tunique brune. La génuflexion de David à la vue du roi Saül, porté par ses soldats, tel une statue glorieuse, préludait à la danse avec la fronde, ravissante de fraîcheur et de noblesse. Appelé à défendre son pays, David obéissait avec joie à ce nouveau devoir : protéger non plus des brebis, mais la vie de sa nation. En créant cette danse à la fois sportive et guerrière, Lifar fut servi par l’expérience d’Icare. Les bras levés, le corps flexible se balançant comme une tige sous la brise, il exécutait de petits sauts de biche, puis des bonds virils et guerriers, des mouvements en avant et en arrière ; il enchantait les yeux et l’âme jusqu’à la victoire finale sur le géant. La saltation avec la fronde révélait plastiquement la parole poétique du texte biblique. La voix du peuple retentissait : « Saül a vaincu ses mille et David ses dix mille ! » Ces paroles répétées reviendront comme un refrain lointain. Une projection montrait la fuite de l’armée ennemie. Le tendre berger venait de se transformer en héros populaire.

David avait donc accompli sa tâche, mais Saül n’avait pas prévu la gloire qui en résulterait pour le héros, et il ne pouvait l’admettre. Le deuxième tableau se déroulait entre les deux hommes, le vieux roi et le jeune élu. Par des petits sauts sur place, sur la demi-pointe, David commençait la danse qui se développait en une large cantilène plastique. Tout en jouant de la lyre, David était saisi de crainte en présence de ce roi sombre et pensif qui l’écoutait avec un double sentiment de plaisir et de jalousie. David réussissait d’un mouvement souple à éviter la lance jetée comme par hasard par Saül ; il poursuivait sa danse aux aguets et, apercevant Saül lancer son arme, il l’attrapait au vol. La rumeur de la fête populaire, les cris : « Saül a vaincu ses mille et David ses dix mille », constituaient le fond sonore de cette scène. Puis David exécutait sur le proscenium, sans accompagnement, une brève danse aux mouvements flexibles et doux. Lifar l’improvisait, la modifiant chaque fois selon son inspiration, et réalisant dans le silence complet « la musique muette » de son corps. D’ailleurs, tout la partition de David triomphant avait été dictée par le rythme de ses mouvements, que Rieti nota et orchestra comme cela avait été fait pour Icare.

La jeune Yvette Chauviré était Melchore, la fille de Saül. Le jeu entre David et Saül formait un admirable contrepoint avec la danse radieuse de Melchore, pleine de passion. Tandis que Saül, dans le tableau suivant, cherchait à connaître son sort auprès de la sorcière (Lycette Darsonval) au cours d’une scène de sombre terreur, David et Melchore échappaient à sa violence en s’enfuyant dans le désert en une cours apeurée et bondissante autour de la scène. Particulièrement éloquente était la danse sur place de Melchore et David, assis par terre, pleurant et se penchant l’un vers l’autre.

Ce personnage à double face qu’avait su créer Lifar : doux berger et guerrier audacieux, sujet docile du roi Saül et élu du peuple, était un être bien vivant qui s’imposait à nous avec une force concluante à travers les multiples facettes du rôle. La danse du berger, la danse avec la fronde, la saltation guerrière devant les troupes auxquelles David redonnait courage, la danse avec la lyre, le pas de deux avec Melchore, tous ces multiples aspects du psalmiste se fondaient en une seule image éclatante du héros de la Bible.

Le ballet  s’achevait  sur  l’intronisation  de  David  porté  en  triomphe  par  le peuple. »

Serge Lifar rénovateur du ballet français par Jean Laurent et Julie Sazonova, Buchet/Chastel Corrêa, Paris, 1960 (pp. 109-111)