De ses années italiennes, Yves Brayer avait apporté le goût des architectures animées de personnages, le sens du fastueux et de la grandeur. Il était normal que cet attrait qu’il avait eu dès cette époque pour le « décor », le conduisit un jour au spectacle scénique.
Ce fut en 1942 que Jacques Rouché, alors Directeur de l’Opéra de Paris auquel il avait redonné un certain lustre, le chargea d’exécuter ses premières maquettes de décors et costumes. Il s’agissait d’un important ballet, Joan de Zarissa, sur une musique de Werner Egk. Ce Don Juan transposé dans un 15ème siècle flamand-bourguignon était interprété par Serge Lifar alors au sommet de sa gloire et qui avait réglé une belle et expressive chorégraphie. Toutes les danseuses étoiles de l’époque, Yvette Chauviré, Solange Schwartz, Lycette Darsonval participaient à ce spectacle.
D’emblée, Brayer sut remplir le vaste plateau de l’Opéra par des décors vigoureux, sobrement colorés : il utilise souvent des hors d’échelle pour affirmer la transposition théâtrale et créer un effet saisissant.
Quelques mois plus tard, il réalisait le décor de L’Amour Sorcier, toujours pour l’Opéra, dansé par Térésina et Serge Lifar. Cette belle partition de Manuel de Falla lui suggéra une grotte fantastique ouverte sur la ville blonde qui surgissait en lumière à la fin du ballet.
Ces deux premières expériences théâtrales avaient été pour Brayer, l’occasion de découvrir et de travailler dans un monde nouveau, celui de la Danse. La scène, mais aussi les coulisses, les répétitions, lui donnèrent la matière à de nombreuses notes à l’aquarelle et à quelques peintures.
A l’Opéra de Paris où il connut plusieurs directorats, il participe à la création de Lucifer, drame lyrique de Claude Delvincourt en 1948, à la reprise de la Tragédie de Salomé de Florent Schmidt en 1954, à une autre création, Nautéos, ballet de Jeanne Leleu la même année.
Le Festival de Cimiez organisé par l’Opéra de Nice fit appel à lui pour un spectacle de trois ballets dont une création de Darius Milhaud La branche des Oiseaux sur un livret d’André Chamson et Le bal du Destin de Daniel Lesur dont la chorégraphie avait été réglée par Janine Charrat.
Yves Brayer n’a que deux fois abordé le théâtre dramatique avec Mithridate au Français et George Dandin pour une tournée de Fernand Ledoux en Amérique du Sud.
Ordinairement, ses maquettes assez grandes, viennent au bout de son pinceau, comme de grandes esquisses. Une fois agrandies, ce sont de vraies peintures de Brayer : elles en ont la verve, les couleurs, la liberté. Ses costumes en complètent l’harmonie comme dans un paysage animé de personnages. Ce sont des décors de peintre. Sa grande connaissance de l’Espagne détermina plusieurs animateurs de théâtre à s’adresser à lui. J’ai déjà cité L’Amour Sorcier. Pour le Holland’Festival en 1953 ; il fut chargé de tout un spectacle Manuel de Falla qui comportait La vie brève et le Retable de Maître Pierre. L’année suivante il exécuta un Carmen toujours sur la même scène, à Amsterdam. André Jolivet le désigna pour créer un cadre à l’action de son opéra-bouffe Dolorès ou le miracle de la femme laide à Lyon. Cette année-là, il vient de s’affirmer plus espagnol que jamais en créant six décors et de nombreux costumes pour un Goya sur une musique de Tony Aubin et un livret de Raymond Escholier. C’est un hommage au peintre qu’il admire le plus et qu’il connaît parfaitement. La scène de l’Opéra de Lille a donc vu naître des tableaux imaginés par Yves Brayer, allant de la rue à Madrid à la « quinta del Sordo » et ces évocations impressionnantes apportent une fois de plus la preuve de son sens du décor.
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