L’Inconnue

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Ballet en 1 acte

Première : le 19 avril 1950 à l’Opéra de Paris

Musique : André Jolivet

Argument (ou livret) : Léandre Vaillat

Décors et costumes : Charles Blanc

Direction musicale : Louis Fourestier

Principaux interprètes : Liane Daydé (la jeune Fille), Serge Lifar (un Soldat), Michel Renault (un Soldat), Tamara Toumanova (l’Inconnue)

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A l’Opéra, un ballet tragique « L’Inconnue »

« Dira-t-on que c’est un ballet de bombardement ?... Sans doute, mais d’abord un ballet de la mystérieuse destinée.

Le pathétique scénario a été admirablement agencé par ce grand connaisseur de la danse qu’est Léandre Vaillat. Une chorégraphie de Serge Lifar, originale, saisissante, difficile. (Qu’importe ! Il dispose du ballet de l’Opéra ; il peut sans souci jouer avec la maîtrise de sa virtuosité, de ses neuves inventions). Une partition remarquable, savamment écrite, de ce musicien magnifique, André Jolivet, qui nous a donné – apparentées par le sujet tout au moins – les célèbres Complaintes d’un soldat, et, sur un ton bien différent (belle preuve de souplesse) le plaisant et spirituel ballet de Guignol et Pandore. Dès le prélude, un grand souffle, dramatique, émouvant (Louis Fourestier dirige, à la perfection) ; bientôt la partition va monter à une puissance prodigieuse.

Le rideau se lève sur un étonnant décor de ruines, œuvre excellente de Charles Blanc ; un appartement tout saccagé, comme découpé par des ciseaux fantasques ; un escalier reste suspendu dans le vide ; au-delà, d’autres découpages de ruines et un ciel en flammes, complètement rouge.

Un soldat se glisse dans ces décombres, curieux, – en une tenue de fantaisie, nullement réglementaire (joli costume orné sur fond brun) : nous sommes dans le royaume de la poésie tragique à la vérité… C’est Lifar, étonnamment jeune et qui dès l’abord se montre comédien – tragédien – remarquable. Arrive un autre soldat (même uniforme…), figuré par Michel Renault, qui vient, avec la parfaite Nina Vyroubova, de danser le premier rôle masculin, épuisant, des Mirages : on ne s’en douterait pas, tant il est souple et léger. Les deux camarades fraternisent. Ils sautent et tournent de conserve – admirablement – et impeccablement accordés.

Mais un piano est là, épargné de hasard par la tourmente. Lifar se met à jouer. L’orchestre se tait : de belles phrases, apaisantes, voix du passé, montent de la fosse. Cependant une jeune fille est entrée, misérable, presque en haillons ; la fille des morts qui vient, désolée, revoir les lieux de son bonheur. C’est la délicieuse Liane Daydé, cette nouvelle et magnifique première danseuse, dont le talent s’est si vite et si évidemment révélé. Le second soldat (Renault) en est ému, charmé. Ce qui se traduit par un pas de deux poétique.

Et ils s’en vont, insouciants, amoureux, tandis que surgit une apparition inattendue, tragique. Une jeune femme hautaine, étrange, au visage mystérieux, au regard inquiétant, sorte de princesse légendaire, asiatique, vêtue avec une barbare somptuosité. L’inconnue – Mlle Toumanova – dresse remarquablement ce personnage énigmatique. Elle tire brusquement Lifar de son extase musicale. Bien qu’un peu effrayé par ces yeux ironiques, cruels, il se laisse aller à son invitation… ; n’obéit-il pas à sa funèbre destinée ? En contraste avec le précédent, c’est un pas de deux violent, parfois volontairement saccadé, heurté, d’une composition fort neuve, pleine de difficultés. A l’égal de Lifar, Mlle Toumanova les résout très bien.

Soudain, coup de tonnerre, ce qui reste de murs s’écroule et le malheureux danseur gît sur le sol, frappé par le bombardement, par son destin. Tandis que le jeune couple revient, terrifié, des voix chantent au loin leur déploration.

Un public, qui n’a pas ménagé ses applaudissements, a été fort saisi par ce spectacle dramatique. »

Maurice Brillant, L’Aube, 22 avril 1950, p. 2/4