Serge Lifar par Yves Brayer

Ma première rencontre avec Serge Lifar

Ma première rencontre avec Serge Lifar remonte à 1941. J'avais une exposition rue de Berri; un homme portant un béret basque enfoncé sur les yeux vint vers moi et se présenta. Il me dit tout aussitôt avoir appris que Jacques Rouché, alors Directeur de l'Opéra, m'avait commandé les maquettes de décors et costumes pour un ballet Joan de Zarissa. Puis regardant mes toiles de Cordes et d'Albi, précisément des architectures, il remarqua: "Tu as un talent puissant, ça ira …". Après ce tutoiement, il me demanda si j'avais déjà travaillé pour le théâtre. Comme je répondais négativement, il ajouta :"Bien, tu n’as pas de mauvaises habitudes". Et tout de suite, il me dit sa conception scénique, me donna des conseils judicieux.

Stimulé, je suggérais que j'avais l'intention de remplir tout l'immense plateau et de concevoir des éléments hors d'échelle. Il me dit: "Vas-y.". Lorsque je m'apprêtais à ouvrir dans le bureau de Rouché mon carton contenant les maquettes auxquelles j'avais beaucoup travaillé, celui-ci émit qu'il avait pensé réduire la scène, faire des petits tableaux successifs. Confus, je montrais mes projets et le Directeur prononça très vite: "Je retire ce que je viens de dire. Votre conception est excellente. Si Serge est d'accord, vous pouvez les confier aux réalisateurs."

Joan de Zarissa (musique et livret de Werner Egk)  était un long ballet qui occupait toute la soirée, avec cinq décors, des rideaux et de très nombreux costumes. La distribution était magnifique et groupait autour de Serge chorégraphe, les étoiles de l’époque : Yvette Chauviré, Solange Schwartz, Lycette Darsonval, Serge Peretti. Lifar, au meilleur de sa forme et de sa gloire, composa ce Don Juan puissant et tragique. Ceux qui s'en souviennent ne sont pas prêts de l'oublier car il eut un énorme succès.

Pour un peintre, le monde de la Danse est infiniment plastique. L'Opéra fut pour moi l'occasion de découvrir cet univers des répétitions à la Rotonde ou au Foyer, des loges, des ateliers de couture, du plateau sur lequel on travaille. Je dessinais abondamment, j'emmagasinais dans ma mémoire des formes, des attitudes, des couleurs, des lumières que j'allais ensuite développer dans mon atelier.

C'est à cette même époque que je fis un grand portrait de Serge Lifar, pour lequel il posa dans le costume que je lui avais dessiné.

© Archives Yves Brayer

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Serge Lifar par Yves Brayer - Février 1972

Lorsque Serge Lifar vint me trouver, voici plus de trente années, il me demande d’emblée si j’avais déjà travaillé pour le théâtre. Comme je lui répondais : « Non, jamais », il répliqua : « Tant mieux, tu n’as pas de mauvaises habitudes.» Jacques Rouché venait de commander mes premières maquettes de décors et de costume de l’Opéra.

Lui qui n’a jamais appris à peindre, n’a non plus aucune mauvaise habitude. Mais le don de l’expression plastique est en lui, qu’il s’agisse de gestes et de chorégraphie, ou d’harmonies et de traits. Il faut constater que le « phénomène » Lifar ne peut rester inactif : il faut créer des formes, tirer sans cesse quelque chose de son imagination.

Ainsi, depuis deux ans qu’il s’adonne secrètement à la peinture, il a sans doute trouvé une nouvelle passion de vivre. Ses souvenirs depuis les Ballets russes de Diaghilev alimentent ses thèmes et il est normal qu’il soit imprégné par le domaine de la Danse dont il est un des maîtres incontestés.

Sur des fonds noir ou rose, il dessine avec des couleurs vives, rapidement jetées. Ne fatiguant par son esquisse, il garde la fraîcheur qui convient à son propos, qui est de saisir le mouvement –telles certaines attitudes de danseurs, ou le caractère – tels ses portraits qu’il traite avec humour.

Comme Jean Cocteau, il a le sens du graphisme.

La surprise que Serge Lifar nous propose par cette exposition (Exposition des peintures de Serge Lifar à la galerie Stiébel à Paris du 4 au 24 mai 1972) est un feu d’artifice de gaieté.

© Archives Yves Brayer

Voici quelques dessins par Serge Lifar.
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